Il était une fois, Anbara Salam al-Khalidi
Écrite et mise en scène par Aliya al-Khalidi sur une dramaturgie signée Noura Sakkaf, Anbara* est une pièce qui s’insinue dans les esprits. Pour y rester.
Anbara c’est avant tout l’histoire d’Anbara Salam al-Khalidi. Née dans une famille musulmane beyrouthine de Moussaitbé au tournant du XIXème siècle, au moment où la région est sous occupation ottomane, elle rejette, dès son plus jeune âge, les coutumes et traditions imposées aux filles et aux femmes. Elle ne s’insurge pas, dans l’acceptation étroite du mot comme un acte de rébellion souvent voué à l’échec, mais plutôt comme une action réfléchie, mûrie, assumée. Son cheminement vers la liberté, elle le trace progressivement, lentement, en mots et en gestes, au nom de la femme arabe, au nom de l’égalité entre la femme et l’homme. Jusqu’à ce geste qui résume tout son parcours, lorsqu’en 1927, lors d’une conférence qu’elle donne à l’AUB, elle enlève son voile en public.
Anbara la pièce se confond avec Anbara le personnage. Indissociables. Le spectateur se met à imaginer, à voguer sur des nappes de fantasme et de réalité, les yeux fixés sur la scène où la trame narrative est rehaussée par une mise en scène et une scénographie, à la fois complexes et simples.
Dans un décor épuré, formé d’un lit, d’un canapé, d’un bureau et de quelques chaises, trône, translucide et opaque, une sorte de paravent qui sert à la fois de symbole, d’écran de projection, de références d’espace et de temps… C’est que Anbara n’est pas une simple pièce de théâtre, elle mêle autant d’éléments visuels et sonores agencés par une large équipe multi-professionnelle (photographie, cinéma, animation, éclairage…) renforcée par la pertinence des costumes et accessoires, et servie par un groupe d’acteurs au jeu pertinent, versatile. Nazha Harb, Fadia Tannir, Abdel Rahim Awji, Najwa Kondakji, Ziad Chakaroun, Dana Dia, Omar Jeba’i, Sara Zein, Hani al-Hindi se glissent à merveille dans leurs rôles respectifs.
Les questionnements sont autant une affaire de sociétés que d’individus, tout comme les changements et les espoirs d’évolution. À l’instar de ces voix-off masculines, suggérées par des images de mains d’hommes, jouant au trictrac, buvant du café, qui tonnent comme un écho de la société patriarcale. Des voix tissées de réprimandes et de reproches à chaque manche remportée par Anbara. Des voix qui raillent et plaignent son père, Abou Ali, sans l’encouragement duquel Anbara n’aurait peut-être pas été ce qu’elle est. Au moment où, contradictoirement, la figure maternelle prêche l’attachement aux traditions quitte à sacrifier le bonheur de ses filles. Se pose ici la problématique de la femme qui sert de courroie de transmission aux traditions dont elle est pourtant la première à souffrir.
Impression d’un conte par-delà les frontières du temps, d’un passé qui semble presque irréel tellement le présent est peu glorieux. Tellement les droits de la femme arabe sont encore et toujours bafoués. Anbara, une pièce qui tonne comme un appel urgent à poursuivre le chemin tracé par Aliya al-Khalidi, Noura Sakkaf et toute l’équipe.
* Jusqu’au 15 mai au théâtre Babel à Hamra.
N.R.