Madame est à Beyrouth. Achrafié. Hamra. Jounié. Zahlé. Tripoli. Saïda… Madame vit en montagne. Ou tout simplement près de la mer. Madame habite une ville. Un village. Du sud. Du nord. Ou de la plaine. Si Madame vit encore dans sa cité, c’est qu’elle y est quelque part enracinée. Pourquoi? Souvent elle peine à trouver réponse à cette question… Ce sont peut-être ses rêves qui la rattachent encore à cette ville. À ce village… Ou, plus précisément, ses fantasmes. Qu’elle aimerait bien réaliser… Alors même si elle va en choquer plus d’un. Elle veut bien tenter, carrément… de réinventer sa cité!
Car Madame n’est pas satisfaite du décor. Dans son quartier, une seule bâtisse traditionnelle fait encore de la résistance. Toutes les autres ont été rasées. À la place, de hideuses tours ont été érigées, assombrissant son ciel, et transformant tout le tissu social du voisinage. Devenu policé. Impersonnel. Les chiens qui s’y baladent à la nuit tombée, accompagnés non pas de leurs maîtres mais des employées de maison, ont tapissé son trottoir de crottes. Ses nouveaux voisins, c’est à peine si elle les voit passer dans leurs grosses cylindrées aux vitres fumées. Ils ne daignent baisser leurs fenêtres… que pour balancer leurs déchets dans la rue… Déjà que cela fait deux jours que les bennes ne sont pas vidées… Mais peu leur importe la pourriture ambiante. Eux ont vite fait de se réfugier dans leurs tours d’ivoire – ou de béton! Pour Madame, l’essentiel est ailleurs. Il n’est pas dans ce clinquant qui sonne creux, mais bien dans tous ces petits riens du quotidien qui font battre son cœur. Dans toutes ces histoires qui la font sourire, et que sa cité lui raconte, lorsqu’elle sort de chez elle, et fait immersion dans ses ruelles…
Alors Madame s’entête. Même dans ses rêves. Elle veut une cité respectueuse de l’humain. Et de la culture. Une ville, un village sans faux-semblants, où il fait bon vivre… En toute honnêteté. Et simplicité. Celle-là même qui fait beauté. Elle veut des montagnes vierges, non éventrées. Des paysages non défigurés. Une ville qui respire autre chose que de l’air pollué. Elle souhaite avoir le luxe de s’étendre dans l’herbe… d’un parc dûment entretenu. Surtout, elle veut pouvoir voir la mer. Car, s’il est bien une qualité incontestable à toutes les villes côtières de son pays en mal de vivre, c’est bien la proximité de la grande bleue. Mais Madame souvent oublie qu’elle est à cinq minutes de cette Méditerranée – si polluée. Tant on s’entête à lui cacher cette ouverture. Vers le large. Elle voudrait l’avoir à portée d’œil. La mer. Tout le temps. Où qu’elle se trouve. En voiture. À pied. Elle veut que cet horizon indéfini lui rappelle que Beyrouth, Antélias, Jounié, Saïda, Batroun… sont privilégiées. Et, surtout, qu’elle a beaucoup de chance d’y vivre.
Puis elle veut mettre un point final à tous ces petits riens qui la dérangent. Qui empoisonnent son quotidien. Non, elle ne veut plus que le plus fort et le mieux introduit fassent la loi. Tiens! Elle voudrait abroger le règne des voituriers, par exemple. Oui, oui… Ceux-là qui s’approprient les trottoirs de sa ville. Mais pas que… Ses fantasmes sont nombreux, et durant ce mois, Madame prend le pouvoir. On lui a donné la possibilité de voter aux municipales! Un droit naturel dans toute démocratie. Pas de quoi en faire un plat diriez-vous…
Mais Madame, elle, est toute excitée à l’idée de glisser un billet dans l’urne. Cela fait si longtemps! De nouveaux visages pointent à l’horizon. Seront-ils plus honnêtes que leurs prédécesseurs? Leurs promesses sont-elles trop belles pour être vraies? Elle va essayer d’être clairvoyante dans ses choix. Peut-être qu’elle sera à nouveau déçue. Peut-être qu’aussi messianiques que semblent certains candidats aux élections, ils rateront le coche à leur tour. Si le pire est toujours au rendez-vous… Tant pis! Rendez-vous aux prochaines élections! L’espoir fait vivre même les fantasmes les plus fous. Ceux de Madame ont la dent dure. Un jour, une nuit, c’est juré, Madame en réalisera quelques-uns!
L.Z.