Un témoin inégalé de l’Histoire
Inaugurée le 8 février, l’exposition Pierre Sadek: Picturing History, organisée par le Musée Sursock et la Fondation Pierre Sadek, est la première depuis le décès du caricaturiste. Les 700 œuvres exposées portent le sceau d’un artiste de génie.
Son nom est tellement lié à la caricature que dès qu’on aborde cet univers, on pense aussitôt à Pierre Sadek. Son influence est telle qu’il a marqué plusieurs générations et son aura continue de se propager encore… Repaire incontournable de la caricature, Pierre Sadek en est aussi le repère initial. Chroniqueur de tout un pays, ses balbutiements, ses péripéties, ses tragédies, les recoins sombres de son histoire, de son actualité, à la fois collective et personnelle, chaque œuvre de Pierre Sadek, en version dessin ou dessin animé, condense l’événement en l’immortalisant. Artiste-artisan prolifique, ses archives comptent plus de 30 000 caricatures, rythme de travail effréné oblige. Le matin, ses caricatures animaient les quotidiens arabophones, An-Nahar notamment, et le soir, c’était sur le petit écran que Thomas, son personnage fétiche, né en 1977, dessinait un sourire jaune sur le visage des téléspectateurs, sur la LBC, de 1986 à 2002, puis sur la Future TV. De ces archives gargantuesques, tout un travail minutieux de sélection a été effectué par la Fondation Pierre Sadek, comme l’explique sa fille, Ghada Sadek Abela, pour présenter au public 700 œuvres au total, 350 caricatures sur planches originales et 350 caricatures animées. L’exposition embrasse plusieurs étapes de sa longue carrière et dresse un panorama de sujets et thèmes abordés dans la presse écrite et à la télévision; mandats, événements, guerres, occupations… L’exposition Picturing History met en exergue des images ayant participé, parfois, à la transcription de l’Histoire et, d’autres fois, à son écriture. Au détour des planches et des dessins animés qui se donnent à voir d’un regard d’ensemble, se faisant progressivement minutieux et détaillé, le visiteur est invité à pénétrer dans une première salle en recoin où sont exposées des caricatures qui avaient été censurées, et dans une deuxième salle, une vidéo avec les témoignages de ceux qui ont connu Pierre Sadek, à l’instar de Ghassan Tuéni, Akl Awit, Rafic Hariri… L’homme qui dessinait plus vite que son ombre Depuis la fin des années 50 et jusqu’à sa dernière caricature, le 14 février 2013, quelques mois avant son décès en avril, il n’a cessé de dessiner, de suivre l’actualité du pays, de la région, du monde, de la croquer en un dessin tout en subtilité, humour, clairvoyance, jeux de mots, avec cette touche particulière, indescriptible, qui constitue le sceau de Pierre Sadek, parfois censuré, mais toujours vivant, toujours imité, jamais inégalé. La visite au Musée Sursock se transforme en une tournée, une longue tournée où le plaisir se marie à la mélancolie et à l’émerveillement, à mesure que les souvenirs remontent, conscients ou inconscients, vécus ou transmis: c’est celui que nos parents attendaient, comme un journal télévisé en soi, à peine le bulletin d’information terminé, cette injonction laconique quotidienne qui veut tout dire: «Chut, Pierre Sadek!» Ces seuls mots suffisaient à instaurer le silence dans la demeure familiale, le temps d’une à deux minutes, le temps que Pierre Sadek signe sa caricature animée; un genre en soi qu’il a été le premier à introduire. Plus qu’un hommage, Pierre Sadek: Picturing History est un devoir de mémoire.
N.R.